Patrick Martin a publié une tribune pour mettre en garde sur les dangers que représenterait une motion de censure pour notre économie et pour l'investissement. Pour lui, "la censure pourrait être la dernière étincelle qui allume l’incendie". Il appelle les parlementaires à mesurer les conséquences de leur choix.
Dans notre démocratie, les choix les plus fondamentaux relèvent du Parlement. Ce mercredi, les députés, au nom peuple français, voteront ou non la censure du Gouvernement. Mais par ce vote, ils pourraient décider bien davantage.
Ce choix s’inscrit en effet dans une histoire. Avec une dette représentant 112 % du PIB, notre pays atteint le niveau d’endettement le plus élevé jamais relevé – à l’exception des deux guerres mondiales. Il faut en prendre la mesure : au rythme actuel de 6 % de déficit, le FMI projette une dette publique à 124 % d’ici 2029. Pour financer ses dépenses et refinancer ses précédentes dettes, la France lèvera ainsi au moins 300 milliards d’euros de dette nouvelle l’année prochaine.
Ce choix n’est déjà plus vraiment le nôtre. Notre pays doit attirer un nombre grandissant d’investisseurs, de plus en plus étrangers de surcroit (47 % en 2021 contre 55 % désormais). Rien ne les oblige à nous prêter de l’argent plutôt que de le placer ailleurs : il nous faut donc les convaincre.
Or cela devient de plus en plus difficile. Après des mois de confusion politique et un débat budgétaire déconnecté de toute réalité économique, où les milliards d’euros de nouveaux impôts ont rivalisé avec les milliards d’euros de nouvelles dépenses, les investisseurs expriment une méfiance historique vis-à-vis de la signature française : depuis plus de vingt ans et la création de la zone euro, jamais notre pays ne s’était refinancé sur les marchés à des taux plus élevés que ceux du Portugal ou de l’Espagne.
La censure pourrait être la dernière étincelle qui allume l’incendie. Que ferons-nous si les taux s’enflamment ? Si l’épargnant japonais, le retraité américain ou la grande banque européenne nous demandent plus de rendement pour nous prêter leur argent ? Si l’Etat doit payer chaque année plusieurs milliards supplémentaires (qu’il n’a pas) pour boucler son budget ? Si un acheteur doit payer 5 ou 6 % d’intérêt sur son crédit immobilier, puisque celui-ci est directement lié au taux d’emprunt de l’Etat ? Et que ferons-nous si les taux se raidissent encore plus ? Si l’Etat doit dépenser plusieurs dizaines de milliards d’euros supplémentaires pour s’endetter ? Si les ménages suspendent alors leur consommation et les entreprises leurs investissements, si même nos voisins se mettent à douter de la France ?
Tout choix a un coût : les conséquences de la censure pourraient nous couter la confiance de nos créanciers et de nos voisins. En 2025, deux chemins pourraient très vite se présenter à nous : accepter de s’enfoncer sous le poids de taux d’intérêt de plus en plus lourds, ou se réformer en profondeur. Ce choix, bien entendu, n’en est pas un : la France choisira la réforme. La France devra convaincre le monde qu’elle sait travailler plus : elle le fera. Elle devra monter qu’elle peut attirer davantage d’investisseurs étrangers par des baisses d’ampleur de ses impôts et de ses taxes : elle le fera. Elle devra témoigner du sérieux de ses finances et de la simplification de son administration : elle le fera. Elle devra refonder son modèle social, de la petite enfance aux retraites : elle le fera. Ce ne sera pas un choix sous la pression supposée des marchés, à peine plus parce qu’elle l’aura payé de longs mois supplémentaires de chaos politique et économique que la censure aura fini d’ouvrir. Mais parce qu’il en ira de l’intérêt des Français et de la prospérité du pays.
Le paradoxe de la censure est donc simple : bientôt, nous n’aurons d’autre choix que de conduire des réformes profondes et radicales sur les retraites, l’augmentation de la durée du travail, la diminution des impôts, la rationalisation de l’action publique avec la diminution de centaines de milliers de postes de fonctionnaires, pour préparer l’avenir en matière d’innovation, d’éducation ou de transition écologique. Ces réformes si essentielles pourraient être adoptées dans le cadre d’un dialogue national, raisonnable et apaisé plutôt qu’après de longs mois d’un marasme politique aux lourdes conséquences économiques. Un vrai choix, au nom du peuple français.